Lisières

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Une nouvelle

"L'oeuvre d'Henri Darzens", La Revue littéraire, n° 73

 

 

 

 

 

L’œuvre d'Henri Darzens (extrait)

 

 

 

Cher Monsieur,

 

Vous me faites l’honneur de penser que je suis capable de vous éclairer à propos d'Henri Darzens. D’autres sans doute sont plus qualifiés que moi pour le faire. Mon père a un peu côtoyé Darzens, comme vous le savez, mais j’étais enfant à l’époque, et je me préoccupais peu de ce qu’ils pouvaient se dire. Cela devait me sembler complexe, ou abstrait, comme les affaires qui occupent les adultes. Seuls me retenaient certains noms de lieux qu’ils évoquaient, et que je retrouvais sur les panneaux indicateurs du coin, quand nous marchions avec mes parents, ou quand nous allions faire une course dans tel ou tel village des environs. Darzens était un vacancier comme nous, à l’époque, excepté pour ce qui était de la mise, qui évoquait plutôt celle d’un chasseur, ou d’un forestier. J’aurai donc peu de chose à vous dire, surtout en ce qui concerne l’œuvre, que je ne comprends pas plus que les autres. Elle n’a pas provoqué chez moi la stupéfaction ou le malaise, comme c’était le cas, semble-t-il, chez la plupart de ceux qui l’ont vue. J’y perçois plutôt quelque chose d’impossible et de terne, comme le sont les choses quand nous sommes très las.

Vous m’interrogez à propos du lieu qui inspiré Darzens. Il suffit de venir ici pour le voir. Et il est inutile vous dire que le déplacement ne s’impose pas. Si cet endroit a quelque chose d’extraordinaire, c’est justement peut-être parce qu’il semble le plus banal d’entre tous. Il lui manque jusqu’à ce charme mystérieux qui nous retient auprès des choses dont la plupart sont rebutés, parce qu’elles ne sont pas spectaculaires, et fuient les catégories dans la limite desquelles la plupart d’entre nous avons l’habitude de maintenir notre langage et nos pensées. Le lieu en question n’a pas de nom. C’est un triangle de terre presque entièrement recouvert de taillis situé dans la commune de Faux-Mazuras, à l’écart de la départementale à l’intersection des routes d’Augères et de la Vergne. Le terrain penche vers la première, en contrebas de laquelle coule la Tardes. De ce côté-là, le bois est longé par une pâture humide presque toute l’année. On progresse parmi les feuillus en suivant des sentes dont l’entretien ne revient qu’aux bêtes qui vivent ou passent là. [...]

 

 



25/06/2018
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